Narcisse, ce bâtard
J'ai toujours été atterré de constater l'écart, que dis-je, la faille, le rift, la Fosse des Mariannes, entre l'image que l'on se fait de soi et notre image réelle, celle qu'on renvoie aux autres. Vous savez, ce petit décalage douloureux, cette minuscule mais si amère déception devant un miroir, une vitrine, ou même une flaque d'eau qui vous renvoie une image tout à fait différente que celle que vous vous faites de vous-même... Ces petites batailles perdues lorsqu'au bord de la piscine un après-midi vous vous dites que vous devez avoir l'air vaguement sexy et mystérieux avec les cheveux mouillés en bataille, les cernes et le regard noir dus à la soirée de la veille... et en allant chercher un verre, vous passez devant la porte vitée et ce que vous y voyez relève hélas plus de l'épagneul ventripotent et insomniaque sortant d'une machine à laver que d'un sombre et ravageur Corto Maltese. Et là inévitablement vos épaules s'affaissent (encore plus), et vous vous dites, bof, ben tant pis. Idem pour les soirées/congrès/dîners entre potes où vous brillez, le verbe fier et l'humour conquérant, puis une fois rentré en fredonnant d'aise et en irradiant de confiance en vous, votre ego baudruche se dégonfle lamentablement en constatant devant le miroir que : a) vous avez un morceau de salade/peau de tomate/grain de maïs de la taille de la Belgique collé sur une de vos incisive, b) un magnifique bouton illumine comme un phare le bout de votre nez, c) votre braguette bée et votre caleçon à motifs 'nains de jardin' se voit à des kilomètres, d) a+b+c.
Prenez les photos par exemple. Pourquoi faut-il toujours que la photo où vous pensiez être le mieux vous balance à la tronche un double menton ignominieux alors que tout le monde autour est parfaitement détendu et mono-mentonné ? Ou pire, vous révèle avec les yeux mi-clos, la bouche entrouverte et un air de bovin d'origine Européenne douteuse. Pourquoi n'est-ce jamais vous le personnage hyper-photogénique au milieu d'un groupe de nains bossus au strabisme déconcertant ? Non mais c'est vrai quoi... (pour ceux qui n'ont aucune idée de ce à quoi je fais allusion, dégagez, vous n'êtes pas les bienvenus ici !!!). Phénomène similaire pour la voix, qui n'a jamais frissonné d'horreur en s'entendant sur son répondeur téléphonique ou sur une vidéo ? Personnellement, rien que d'y penser me fait transpirer d'épouvante (non, non, je n'éxagère jamais).
Alors loin de moi l'idée de lancer un pseudo débat de psychosociologie de comptoir sur la pression des médias, le culte du corps, pourquoi 'essayer d'être' au lieu 'd'admettre qu'on est', etc. Rien d'aussi profond. Je trouve ça finalement positif, et assez drôle avec du recul. D'abord ça me donne un bon prétexte pour écrire une note, ce qui n'est pas négligeable en ces temps de paresse intellectuelle, et puis au fond, ces petites claques aussi infimes soient-elles, ne sont que des rappels à l'humilité, un traitement chronique anti-pédantisme... Et au final, il y a vraiment plus grave sur cette Terre.
Mais une question me taraude, avez-vous déjà entendu parler de bimentonectomie ? Ca m'intéresse...
[ANNONCE : des expériences traumatisantes, des moments de grande solitude ? Ne me laissez pas tout seul, racontez-moi votre pire expérience antinarcissique, ça m'intéresse aussi ! Allez, soyez pas timides, qu'on se marre un peu que diable !]