La grande saison des examens vient d'être officiellement ouverte au College of Medicine, et après des semaines d'intense cogitation, d'activité neuronale dangereusement élevée et d'essorage synaptique extrême afin d'extraire de mon cortex poussif toute idée originale pour mes questions de TD, j'ai enfin rendu mes sujets à l'Examination Officer. Oui, alors attention, à l'Université on se prend très au sérieux et on a des noms pompeux et ridicules, même si tout balai qui se respecte refuserait catégoriquement d'être rangé dans ce qui nous sert de bureau. Les dates fatidiques des examens sont tombées comme un couperet pour mercredi dernier, en plein jour férié qui a donc sauté pour les étudiants comme pour moi - vive les joies de la surveillance d'exam.
Je suis bien évidemment arrivé en retard comme tout apprenti enseignant supérieur qui se respecte, qui se doit donc d'être bordélique et de chercher ce foutu emploi du temps 5 minutes avant de partir au boulot, mais siiiii tu sais, celui avec le nom de l'amphithéâtre dessus, il était juste là hier soir bordeeeeeeeeeeel !! Après un petit 400 mètres haies sur le parking par dessus des parpaings entassés là pour la réfection de la cafétéria (rien de tel pour vous mettre en forme tôt le matin), je me suis enfin retrouvé devant la bonne porte, en nage et à bout de souffle. Ce n'est qu'une fois à l'intérieur de la salle que je me suis figé. Comme toutes les salles d'examen, il y régnait un silence presque religieux, perturbé par les toussotements tendus des étudiants et les pas lents et réguliers des surveillants se réverbérant contre les parois nues. Et là, dans cette odeur de béton frais et de craie âcre, la nostalgie m'a sauté à la gorge de la manière la plus imprévisible qui soit. Enfin nostalgie, nostalgie, faut pas pousser non plus, on en a assez bavé de ces longues soirées de révisions, de ces nuits blanches à potasser en dernière minute, mais siiiiii, je suis sûûûr que ça va tomber demain, les calculs mentaux tordus pour savoir quelle matière réviser le moins en fonction des coefficients, les malédictions hurlées mentalement à l'encontre des professeurs sadiques devant sa copie restée blanche, les rendez-vous, pâles, après les examens avec les copains, et finalement les attentes interminables devant le tableau d'affichage dans le grand hall, les cris de joie, les gémissements d'incompréhension et d'incrédulité devant une note lamentable, les notes, justement, qu'on vérifie deux à trois fois d'affilée en suivant la ligne avec son nom, le coeur battant la chamade en priant pour ne pas s'être trompé de ligne la première fois... Non ça, ça ne m'a pas rendu nostalgique. Mais tous les bons souvenirs de mes années fac me sont revenus d'un coup, les nuits blanches aux Catacombes avant de réenchaîner sur une nouvelle journée de cours à l'ULP de Strasbourg, les apéros fatidiques du jeudi soir à la fac de Montpellier II, les soirées STAPS démentes, les soirées mojito et les cafés à la chaîne pendant la thèse à Marseille... et tout ça... pour finir... tout seul au Malawi !! Ca m'a mis le moral à plat et j'ai eu le cafard toute la soirée.
Mais heureusement les copies sont arrivées à point nommé le lendemain matin, et m'ont rendu ma bonne humeur. Des petites coquilles mignonnes aux potentielles catastrophes médicales majeures, rien ne nous a été épargné. Petit florilège. Je rappelle qu'il s'agit d'un examen d'hématologie de 3ème années de médecine. la première question concerne un adolescent qui souffre de troubles bénins de la coagulation, avec comme indice un bilan sanguin indiquant un nombre anormalement bas de plaquettes. S'en suit une série de petite questions dont, selon l'étudiant, le pronostic (à savoir, grosso modo, est-ce que c'est grave docteur ?) - c'est bénin dans ce cas là, mais un étudiant me répond :
Le patient mourra. Il n'y a rien à faire, sinon prévenir la famille et préparer les funérailles. Mais cela n'est en rien le travail du médecin.
Mmmm. Un chouilla extrême. Continue à traiter tes patients comme ça mon gars, et je te prévois une carrière fulgurante en médecine légale. La seconde question concerne un enfant atteint d'hémophilie A, et après avoir passé en revue les antécédents familiaux, on demande les suggestions (de traitement) du médecin. Celle-là m'a fait produire un admirable Jason Pollock sur mon bureau, en sprayant mon café de rire.
Je suggère d'isoler l'enfant afin de limiter ses contacts avec les membres du même sexe au STRICT MINIMUM, et d'éviter les fornications contre-nature dégoûtantes lorsqu'il sera en mesure de procréer.
Alors certes hémophilie et homophilie sont des mots assez proches, même en anglais, mais quand même. Ce serait hilarant si ce n'était dramatique. Pour les lecteurs horrifiés par la violence de ce propos, sachez que l'homosexualité est interdite et punie par la loi au Malawi, un pays strictement catholique. De ce côté là, on est pas loin du Moyen Âge... Mais c'est un autre débat. Un second m'écrit qu'il faut emprisonner les parents qui disséminent des gènes handicapants. Ben voyons, on peut les brûler aussi tant qu'on y est. Et que fait-on des porteurs de gènes de la bêtise et de l'atrophie cérébrale ? Pas handicapants ceux-là, mmmm ?
Mais ne généralisons pas, l'ensemble des copies était d'un excellent niveau. Et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, mon projet de recherche a été retenu par la colossale organisation susceptible de payer mon salaire pour les 3 prochaines années, je pars donc à Londres pour les entretiens décisifs début décembre. Sydney est au bout, ma tension artérielle est montée d'un cran. On est prié de croiser tout ce qu'il est humainement possible -et pas trop douloureux- de croiser pour moi. On vous remercie d'avance.
Martine ? Mousseux pour tout le monde !